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Entretien avec Koré Préaud - Designer – sonore

Association Epic d’Epoc : Nous vous proposons de commencer cet entretien en nous décrivant qui vous êtes, d’où venez-vous, quel âge avez-vous et quel est votre cursus.

Koré Préaud : Bonjour, je m’appelle Koré Préaud. J’ai 23 ans. J’ai fait ma licence aux Beaux-Arts de Lorient. Je me suis après spécialisée dans le son, aux Beaux-Arts du Mans en option Design Sonore. J’ai terminé mes études l’année dernière (2016) et depuis je continue ma pratique artistique dans le domaine du son.

 Association Epic d’Epoc : Pouvez-vous me décrire un peu plus en détails ce que vous faites en Design sonore ?

 Koré Préaud : Le Design sonore englobe énormément de choses. C’est un nom un peu four tout comme architecte ou designer graphiste. Je tends plus vers l’univers radiophonique et les installations interactives en lien avec l’architecture. C’est encore très divergent comme orientation. Ils n’ont pas forcément de lien entre eux. Disons que pour l’instant je préfère travailler sur différents arcs, ou filières pour rencontrer un grand nombre de personnes et voir ce qui se produit dans les différentes pratiques. Le son est un univers très cloisonné et élitiste. C’est un petit milieu où tout le monde se connaît. C’est souvent cela lorsqu’on est dans un cadre très précis. Il est très difficile d’en sortir une fois installé. Ce que j’aime dans mon activité c’est de créer des liens entre différentes pratiques: radiophoniques, les installations sonores, ou encore musicales… C’est très large, pour l’instant je suis en train de travailler là-dessus.

 Association Epic d’Epoc : D’où vous vient ce choix de faire du design sonore ?

 Koré Préaud : Ce choix me vient de ma formation aux Beaux-Arts de Lorient. J’ai eu la chance en deuxième année de Licence, de pouvoir partir dans un échange international au Québec. L’Université du Québec à Montréal, l’UQAM, m’a permis de toucher à des pratiques auxquelles je n’avais pas accès à Lorient : la vidéo, le son et l’interactivité. A mon retour en France, en troisième année, je me suis rendue compte que je tendais de plus en plus naturellement vers le son et les installations interactives. Le corps enseignant ne pouvait plus me donner les clefs pour m’aider à avancer. J’ai arrêté la Licence en art, standard, classique pour me spécialiser dans une autre filière, le design sonore.

Association Epic d’Epoc : Ce choix s’est effectué après votre Licence ou en Master ?

Koré Préaud : Huum… Ce fut un travail sur toute la longueur. Un moment, effectivement il y a eu un point clé qui m’a fait dire que j’avais un attrait pour le son. Ce n’était pas qu’à cette période que j’ai commencé à pratiquer le son. Je me suis rendu compte à posteriori que j’étais mélomane et que j’avais une pratique instrumentale avec le saxophone ténor. J’ai toujours eu une spontanéité à aller vers le son, mais je n’avais pas encore mis le doigt dessus. Le point clé qui m’a permis d’avoir un déclic est le jour où j’ai fait une installation sonore interactive. Je l’avais présentée à mon professeur de peinture du moment et professeur référant qui m’a répondu : « Koré je ne sais absolument pas quoi te dire là-dessus, parce que moi, il n’y a que la peinture qui m’intéresse». À partir de là, j’ai développé une réflexion qui m’a fait me dire que j’allais dans ce sens et non dans un autre.

 Association Epic d’Epoc : Comment percevez-vous vos œuvres ? Que représentent-t-elles à vos yeux ? Avez-vous un attachement ou un détachement face aux œuvres que vous créez ?

 Koré Préaud : Le rapport que je peux avoir à mes œuvres est un mix entre l’affectif et la mise à distance. Dans le sens où, dans le parcours scolaire que j’ai pu faire, les professeurs nous ont toujours poussés à avoir un rapport à l’affectif. Il fallait que cela vienne de notre sphère privée. Par exemple, je ne sais pas, admettons que ma voiture tombe en panne, dans la prochaine œuvre que je vais créer il y aura l’image d’une voiture cassée. Il fallait vraiment que cela sorte de notre ressenti. J’ai toujours été pudique par rapport à ça, dans le sens où je voulais vraiment mettre une barrière, une séparation entre ma pratique plastique et ma vie privée. Il y a dans mes œuvres une partie conceptuelle où je me prends la tête sur des grandes généralités. Il y aussi de l’affectif qui vient de ma bulle personnelle. Après, je ne la mets pas forcément en avant et la hurle à qui veut l’entendre. Je préfère rester plus ou moins muette. Je pense que quand une œuvre est réussie, le public peut se projeter à travers. Même s’il n’a pas toutes les clés pour la comprendre, il arrive à en sortir quelque chose. Cela fait écho avec son histoire personnelle ou son ressenti. Il ne faut pas rester cantonné à une explication.

 Association Epic d’Epoc : Y en a-t-il une en particulier que vous voudriez voir illustrer dans cette interview ?

 Koré Préaud : Celle que je souhaiterais voir être mise en avant… [elle réfléchit] C’est celle faite dans le cadre de mon master, la maquette interactive. C’est la plus récente, celle qui est vraiment abouti d’un bout à l’autre. Je l’ai réalisée pendant quatre mois de travail. Elle a une maturité autre que les œuvres réalisées un peu, voir bien avant. Elle reflète autant mon parcours de plasticienne que de designer sonore.

 Association Epic d’Epoc : Que voulez-vous que l’on retienne de vos œuvres ?

 Koré Préaud : Comme je le disais un peu plus tôt, je n’ai pas envie d’imposer un message pompeux pour les spectateurs. Je souhaite qu’ils expérimentent, que cela les fasse réfléchir où juste s’évader vers un ailleurs qui leur appartient. Bien sûr, j’ai une idée précise de ce que je veux transmettre. Mais c’est le côté paradoxal de la chose. Cela oscille entre la pudeur et la mise à distance d’une œuvre que j’ai créé. Ne pas donner toutes les clés pour comprendre une œuvre permet au spectateur une chance d’interprétation et surtout de réflexion.

 Association Epic d’Epoc : Pour vous, quelles sont les qualités d’un artiste ?

 Koré Préaud : [rires] Spontanément … Les premières qualités d’un artiste, ou d’un artisan, ce serait un regard neuf sur ce qui nous entoure, un regard frais, une écoute attentive sur notre environnement actuel. C’est ça, toujours être l’affût et avoir une fraîcheur sur ce qui nous entoure, autant au niveau de l’écoute que sur le visuel.

 

 Association Epic d’Epoc : Vous voulez dire ne pas rester figé dans son travail ?

 Koré Préaud : Non, comment dire… [elle réfléchit] c’est ne pas rester bloquer sur des aprioris culturels, politiques, etc...

Association Epic d’Epoc : Pensez-vous qu’un artiste doive se renouveler ?

Koré Préaud: [...] [elle réfléchit] Oui et non. Oui parce que c’est important d’avoir un recul critique sur ce que l’on fait pour toujours aller de l’avant en essayant de s’améliorer. Et en même temps non, parce qu’en tant qu’artiste, on trouve une pratique qui nous convient, qui nous plaît. On ne peut pas la rejeter tant qu’on n’en n’a pas extrait tout ce qu’on peut en tirer. Ainsi, je perçois le statut d’artiste avant tout comme un métier à passion. Lorsque l’on créé, on ne peut se mentir. Ce qui sort est systématiquement quelque chose qui nous anime de l’intérieur. Donc s’il y a renouvellement, c’est plus dans une continuité une évolution naturelle de notre pratique et réflexion.

Association Epic d’Epoc : Y a-t-il des artistes ou des personnages qui ont influencés votre travail?

Koré Préaud : Oui j’en ai quelques-uns, c’est retrouver les noms qui est compliqué [sourire]. Il y a le compositeur Nico Muhly qui a fait l’album nommé Mothertongue. C’est un compositeur de musique électro-acoustique. La première fois que je l’ai entendu c’était dans un cours de découverte sur l’écriture musicale et les créations du siècle en musique contemporaine. C’est un homme qui travaille sur le langage, pas forcément dans le sens du parler, de la construction de la phrase, ou du sens que dégage le mot, c’est plus de l’ordre du murmure ou des onomatopées. Cela forme une autre strate de compréhension et de conception par rapport au langage. Il m’a particulièrement touchée. Il y a aussi Hervé Déjardins qui est un compositeur à Radio France, qui lui s’est spécialisé dans le son multi canal et de nouvelles technologies de diffusions sonores. Il est aussi compositeur. Il dirige en ce moment un site de web radio de Radio France nommé NouvOson. On peut y écouter de nouvelles créations sonores par rapport au son binaural et multi canal. Il y a énormément de choses intéressantes à voir là-dessus. J’ai rencontré aussi quelqu’un à France Télévisions, Mathieu Parmentier. J’ai fait un stage avec lui, ça été une rencontre humainement parlant exceptionnelle, et aussi sur le plan du travail et de la manière d’aborder les choses. Dans un milieu comme le son qui est aussi petit, il est assez rare de trouver quelqu’un avec qui on est sur la même longueur d’onde, quant à la qualité du son, la manière de le poser, la manière d’amener un concept, une idée, ou la manière de le retranscrire. Enfin voilà, ça s’applique un peu partout, dans n’importe quels corps de métiers artistiques et même artisanal.

Association Epic d’Epoc : Avez-vous été inspirée par des éléments extérieurs (l’actualité, la vie quotidienne, l’histoire ou l’histoire de l’art) ?

 Koré Préaud : Oui … [elle réfléchit] Il y a par exemple Mine Mine Jumps qui est l’oeuvre faite avec les pièces en céramique qui a une genèse particulière venant d’un documentaire réalisé par deux journalistes français partis en Syrie. C’était il y a environ trois ou quatre ans. A leur retour en France, ils avaient réalisé une édition spéciale. Dans cette émission, il y avait notamment un grand questionnement sur comment prouver de manière tangible l’utilisation d’un gaz indolore et inodore alors qu’il ne laisse aucune trace. Les seules traces qu’il laisse sont sur les vêtements ou les poumons des victimes par exemple. Le travail et les réflexions effectués là-dessus portaient sur comment présenter ou prouver l’existence de quelque chose d’évanescent, de non palpable et toujours présent. C’est comme les radiations dues à une centrale nucléaire. Cette angoisse due à cette chose non palpable est quelque chose qui m’a véritablement touchée. Suite à cela, j’ai voulu proposer une forme de réponse plastique à la question qu’ils avaient soulevée et le projet est sorti...

Association Epic d’Epoc : Que pensez-vous de l’Art contemporain actuel ?

Koré Préaud : Oula [rires] … Qu’est-ce que je pense de l’art d’aujourd’hui ? Je vais peut-être parler avec de grandes généralités. Je pense qu’aujourd’hui on est dans une époque de grands changements. Nous ne sommes n’est pas dans une pas dans une période sereine. Il y a des tensions sociales, culturelles, politiques, économiques et ce n’est pas sans compter l’art actuel. L’art contemporain est très divergent. Il se cherche encore, avec beaucoup d’essais de pratiques, de productions, sans sortir de la crise de Marcel Duchamp avec ses Ready Made et sa fameuse Fontaine. Ce jour-là il a eu une révolution dans le monde de l’art dont nous ne sommes toujours pas sortis. On se pose toujours la question « de si oui ou non un cuisinier est un artiste lorsqu’il compose un dessert ? » par exemple. Pour éviter de partir dans tous les sens, en résumant : l’art contemporain se cherche avec une productivité monstrueuse. Le monde de l’art est assez attentif sur l’actualité quel qu’elle soit. Un artiste contemporain est influencé par le monde qui l’entoure même ceux qui font dans le conceptuel et l’abstrait par exemple.

Association Epic d’Epoc : Vous voulez dire que l’art se cherche encore un peu ? Il y eu une cassure depuis Marcel Duchamp et qu’il est difficile de s’y retrouver ?

Koré Préaud : Il n’y a pas assez de recul je pense. On a un recul par exemple avec les impressionnistes car il y a plus d’un siècle de différence. Sur l’art contemporain on ne voit qu’un immense fouillis de pratiques, de pratiquants, d’artistes, et sur l’essence même de la fonction d’artistique. Il faut évacuer tout ça. L’art contemporain d’aujourd’hui est un Big Bang créatif. C’est une question de rencontre entre des personnes, des pratiques créant différents retours. Il en sort à mon avis un reflet de notre actualité. Tous les artistes ne réagissent pas de la même manière. Mais bien sûr tout ça, ce sont des grandes généralités.

Association Epic d’Epoc : Bien merci Koré pour cet entretien et pour votre attention.

 

Fin.

Publié le 11 octobre 2017